La
DGAC a publié le 22 août (1) une décision visant à donner un cadre
réglementaire français au co-avionnage suite au document publié par l’EASA sur
les vols en « cost sharing » (vols à frais partagés, in good french !). Cette décision de la DGAC se trouve contestée par Europe Air Sport auprès de l’EASA car si ce texte français
n’est pas remis en cause par l’EASA dans un certain délai (nous vous faisons
grâce de l’explication
de la procédure en langage européen dans le texte),
elle s’applique à l’ensemble des pays membres de l’UE?! Les autres pays n’ayant pas le même contexte d’activité
s’inquiètent donc de la position de la DGAC française?! La décision
de la DGAC visant à clarifier la situation crée
donc un nouveau sujet de discussion, et, pour certains, d’incompréhension…
Essayons d’y
voir clair.
Il y a en fait trois
cas de figure à considérer
pour avoir une vue d’ensemble
du problème : les vols de
découverte (baptêmes de l’air), les
vols à frais partagés
« classiques », les vols en co-avionnage.
Cas n° 1. Le vol de découverte (baptême) existe en France depuis cent ans. La Commission européenne l’a reconnu et inscrit dans sa réglementation en 2014.
Les aéroclubs (et non les personnes privées) sont autorisés
à effectuer des vols locaux, dits vols de découverte, pour le grand public qui se présente à la porte des clubs (pas de publicité). Les passagers payent
la
totalité du prix du vol à l’aéroclub qui détermine
librement ses tarifs.
La Commission européenne a fixé le cadre général de ces vols de découverte et a explicitement donné à chaque autorité nationale
la liberté de fixer des modalités pratiques, éventuellement plus
restrictives que le cadre général.
C’est à ce titre que la DGAC a publié
un arrêté?(2) qui assure la sécurité
du grand public et
évite une concurrence déloyale vis-à-vis des sociétés de transport
public qui organisent des vols touristiques, tout en en assurant la pérennité des baptêmes de l’air à
la française.
Cas n° 2. Le vol à frais partagés
entre relations du cercle familial ou amical est une pratique
ancienne et totalement admise en
France. Pas nécessairement
dans d’autres pays, aussi le principe de la régularité en matière de règlement
aérien a été expressément reconnu le 7 avril 2014 par l’article 6 § 4bis a) du Règlement (UE) n° 965/2012 modifié?(3).
Un individu
pilote (et non un club) peut partager les frais d’un voyage avec ses passagers. Le prix n’est pas libre, le partage
des frais exclut certaines
dépenses du pilote, les frais à partager sont strictement ceux concernant
le vol.
Cas n° 3. Le « co-avionnage
» est un concept récent, porté par des start-up qui surfent sur
la vague internet
et le développement de l’économie du partage. Il n’existe d’ailleurs pas de définition officielle du co-avionnage.
Le pilote privé est
invité, par les start-up, à déposer
une petite annonce sur un site
inter- net à destination du grand public.
Il s’agit donc d’un vol à frais partagés
comme dans le cas n° 2, mais ouvert au grand public
comme dans le cas n° 1. Mais dans le cas n° 1, la publicité est prohibée alors
que dans le co-avionnage, le site
internet s’adresse au grand public.
Interpellée par des start-up de co
avionnage, l’EASA a en substance répondu
en avril
2016 que, pour ce qui était de la réglementation aéronautique, les vols à
frais partagés proposés sur des sites internet
grand public n’enfreignaient pas les textes européens.
Différence de cible
La DGAC, qui avait initialement pris une voie très restrictive pour le co-avionnage (l’obligation d’avoir un certificat de transport allégé
pour les sites de co-avionnage), a donc mis en chantier
un texte pour encadrer cette pratique et l’a publié en août 2016.
Et donc, soulignons-le bien : le texte français de
la
DGAC a été conçu non pas pour en- cadrer les vols à frais partagés «classiques» (cas n° 2), mais les vols à frais partagés proposés sur un site à destination
du grand public via des plateformes dédiées à cette pratique (cas n° 3) : cette différence de cible
était claire au niveau français,
elle s’avère l’être beaucoup moins au niveau européen.
Dans le cadre des consultations menées par la DGAC, la FFA a
bien insisté pour qu’une définition du
co-avionnage
précise qu’il s’agissait de vols proposés au
travers de sites internet
ouverts au grand public, cela afin de ne pas mettre en défaut les clubs qui ont une bourse de partage de
vols
entre leurs adhérents (cas n° 2). D’autre part, la FFA estimait, en ce qui concerne les vols locaux (« A
to A »
en jargon européen), qu’il fallait un texte qui soit cohérent avec l’arrêté régissant les vols de découverte (cas n° 1) au risque de déstabiliser la pratique des baptêmes
de l’air en aéroclub, qui ont fait leur preuve depuis bientôt un siècle. Si la décision publiée répond bien au
deuxième point (cohérence avec la réglementation des vols de
découverte), elle ne
mentionne pas explicitement la définition
des vols de
co-avionnage
par l’usage de
sites internet ouverts au grand public, ce qui nous a conduits
à renouveler notre demande à la DGAC qui a convenu de la nécessité de
préciser ce point.
Concernant les mesures applicables aux
vols « A-to-B » c’est-à-dire les voyages ouverts au grand public, au-delà de la question de la
cohérence intrinsèque des mesures exigées par la DGAC pour protéger celui-ci,
la FFA considère toujours
que les questions relevant de la fiscalité, de
l’assurance et
plus généralement de la responsabilité civile et pénale des dirigeants d’aéroclub sont prépondérantes
et qu’elles ne
seront pas réglées
dans l’urgence,
voire l’agitation, des start-up et qu’au surplus ces
questions ne relèvent pas de la compétence de la DGAC.
La DGAC, l’EASA, les sites de co-avionnage, l’opinion d’EAS, sans parler de possibles dérapages dans la compréhension des textes par les autorités locales : voilà de
quoi alimenter
les débats au
bar
de l’aéroclub?!
La position de la
FFA est claire, nous la répétons :
1. Le texte de cadrage publié par la DGAC devrait préciser
qu’il
s’agit de plateformes
internet ouvertes au grand public.
2. La FFA n’est pas
en soi opposée au co-avionnage
ouvert au grand public.
3. Dans le contexte des
aéroclubs, nous ne pouvons que
réaffirmer que le co-avionnage
ouvert au grand public déplace les curseurs
sur de nombreux points
qui peuvent mettre en difficulté le club et ses dirigeants.
Ces points ne sont pas insurmontables. Nous y travaillons. Le temps des différentes administrations concernées n’est souvent pas le nôtre et sur de nombreuses questions, le dernier mot, en cas d’accident,
pourrait être celui du juge dans son interprétation pour requalifier des vols dès lors
qu’il
y a une proposition faite au grand public.
Il existe, comme disent pudiquement les avocats des start-up, un « risque résiduel ». Toute la question est de l’évaluer et de savoir qui
le prend et dans quelles conditions?! Oui, les vols de co-avionnage sont
« sympas », oui, ces vols sont de nature à dynamiser
l’activité, oui, ces vols permettent
potentiellement à de jeunes brevetés d’accumuler
des heures en vue d’une carrière professionnelle mais… avec quels
risques fiscaux, assuranciels, voire judiciaires, pour les clubs, leurs dirigeants
dès lors que la proposition
de vol est faite au grand public?? Les références à Uber, Blablacar et autres aiRNB ne
font que rajouter
à la confusion du raisonnement. Comparaison n’est pas raison, et cela d’autant plus que
ces plate- formes parfois citées en référence donnent
lieu à des évolutions
réglementaires les plus diverses qui montrent que
le contexte
de l’économie collaborative est loin d’être stabilisé?! Encore une fois, ne confondons pas un pilote privé avec un avion privé qui fait
du co-avionnage et un pilote privé avec
un avion de club qui ferait du co-avionnage. Les impacts
collatéraux et la chaîne de responsabilités ne sont pas les mêmes, ces questions méritent
un peu d’attention et donc… mûrissement dans le temps?!
(1) Décision
du 22/8/2016, publiée au JO de la République française le 24/08/2016. Lien : http://www.developpement-durable.gouv.fr/ Consignes operationnelles.html
(2) Arrêté du 18/8/2016 publié au JORF du 21/8/2016. Lien : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2016/8/18/DEVA1619476A/jo
(3) Lien : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/ FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:02012R0965-20160825&qid=1473945775114&from=EN
Ce texte autorise, par dérogation,
l’exploitation « d’aéronefs à motorisation
non complexe » sous la forme de « vols à frais partagés effectués par des particuliers, à condition que le coût direct soit réparti entre tous les occupants
de l’appareil, y
compris le pilote, et que le nombre de personnes supportant le coût direct ne dépasse pas six ». |